Dans ce texte, le philosophe Bergson s'adresse à ses élèves, en 1892. Il cherche à définir la "politesse vraie".
"En un mot, cette division du travail, qui resserre l’union des hommes sur tous les points importants en les rendant solidaires les uns des autres, risquerait de compromettre les relations purement intellectuelles, qui sont pourtant le luxe et l’agrément de la vie civilisée. Il semble donc que la puissance de contracter des habitudes durables, appropriées aux circonstances où l’on se trouve et à la place qu’on prétend occuper dans le monde, appelle à sa suite une autre faculté qui en corrige ou en atténue les effets, la faculté de renoncer pour un instant, quand le besoin s’en fait sentir, aux habitudes qu’on a contractées ou même aux dispositions naturelles qu’on a su développer en soi, la faculté de se mettre à la place des autres, de s’intéresser à leurs occupations, de penser de leur pensée, de revivre leur vie, en un mot, et de s’oublier soi-même. En cela consiste la politesse de l’esprit, laquelle n’est guère autre chose, semble-t-il, qu’une espèce de souplesse intellectuelle. L’homme du monde accompli sait parler à chacun de ce qui l’intéresse ; il entre dans les vues d’autrui, sans les adopter toujours ; il comprend tout, sans pour cela tout excuser. Ce qui nous plaît en lui, c’est la facilité avec laquelle il circule parmi les sentiments et les idées ; c’est peut-être aussi l’art qu’il possède de nous laisser croire, quand il nous parle, qu’il ne serait pas le même pour tout le monde ; car le propre de cet homme très poli est de préférer chacun de ses amis aux autres, et de réussir ainsi à les aimer tous également. Aussi un juge trop sévère pourrait-il mettre en doute sa sincérité et sa franchise. Ne vous y trompez pas cependant : il y aura toujours entre cette politesse raffinée et l’hypocrisie obséquieuse (1) la même distance qu’entre le désir de servir les gens et l’art de se servir d’eux."
(1) Relatif à un excès de politesse dans le but de s'attirer les bonnes grâces d'une personne par pure hypocrisie, pour son propre intérêt.
Bergson, La Politesse. Discours prononcé à la distribution des prix du lycée Henri-IV
Questions
1. Lis la dernière phrase du texte : pourquoi peut-on critiquer la politesse en la rapprochant de l’hypocrisie ? Comment Bergson les distingue-t-il ?
2. Quelles sont selon le texte les caractéristiques de l’homme poli ? Comment se détermine la conversation de l’homme poli ?
3. Aimerais-tu le rencontrer ? Pourquoi ? Connais-tu des personnes répondant à cette définition ?
4. Reviens au début du texte : qu’est-ce que la division du travail ? Quel en est l’intérêt, selon vous ? Quels en sont les effets dommageables pour la société, selon le texte ?
5. Pourquoi la politesse permet-elle de corriger ces effets ?
6. Selon toi, la politesse est-elle utile à la société ? Justifie ton point de vue.
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